Troisième étape: 21,5 km, +420m
Le matin du troisième jour découvre un ciel gris et froid, deux degrés seulement, les quelques gouttes du ciel dont les pleurs sont hésitants semblent épaisses, la neige ne semble pas loin. C'est
notre réveil en remontant les rues de Pradelles vers le café.
Heureusement accompagnés de Mr Romand, Laurent, Denis et moi allons récupérer Popov et Keneth ; gentiment, ils répondent à l'appel de leur maître, tandis que les compagnons avec lesquels ils ont passé la nuit, une ânesse noire pleine et le frère « jumeau » de Popov suivraient bien aussi. Seuls, il n'est pas certain que nous aurions emmené le bon âne, les robes ont la même nuance fauve, la marque noire descendant vers les pattes avant a juste une petite différence de longueur. Keneth a une teinte plus grise, mais la même marque indique dans son sang un lien proche avec la race provençale.
Descendre entre les maisons de pierres avec les deux ânes au bout du licol au milieu d'une odeur de boulangerie me ramène à la vie du village il y a quelques dizaines d'années ; maintenant, les ruelles désertes malgré leur excellent entretien affichent tristement un nombre impressionnant de pancartes « A vendre ». Nous bâtons les ânes de mieux en mieux et rapidement, créant curieusement une minime perturbation de la circulation sous le gîte ; dans cette toute petite rue excentrée, les ânes attachés à des anneaux que les murs ont gardés du temps où la traction animale était de circonstances gênent l'accès des salariés d'un établissement médico-social ou apparenté embauchant juste à l'heure du départ de cette autre journée de vagabondage. Denis expérimente l'art de conduire nos compagnons à quatre pattes tandis que nous profitons d'un dernier regard intérieur sur le bourg en passant sous ses porches.
Langogne n'est pas loin, un chemin descendant y mène tranquillement avant de rejoindre à l'entrée la nationale sur le pont où se joignent les départements de la Haute-Loire, de l'Ardèche et de la Lozère où nous entrons. Mende, sa préfecture est une des plus petites de France, mais, ses paysages sauvages et déserts, voisins de l'Aveyron, parlent aux cours indépendants et mon frère et moi ont beaucoup été guidés par eux vers ce voyage.
Pour l'heure, la situation est plutôt étrange, avec nos ânes sur le trottoir, nous avançons entre les voitures et les vitrines ; Les voici « garés » devant un supermarché le temps de quelques courses, curieux anachronisme. Ce boulevard pourtant a connu un autre âge avec des remparts au lieu du goudron. Et en attendant Pierre en quête d'une version en langue originale, ancien enseignant d'anglais oblige, à la librairie et d'autres membres égarés du groupe dans cafés ou boulangeries, les trottoirs reçoivent quelques marques inopinées du passage des ânes ! Heureusement, il n'y a pas de spectateur désobligeant.
Nous quittons le tumulte tout relatif de la cité, d'ailleurs supporté avec indifférence par Keneth et Popov, par un adorable vieux petit pont étroit et bombé. Un peu de goudron encore nous mène vers les chemins et les dernières cultures. Le ciel est gris sur les labours, les pins sylvestres ajoutent au tableau leurs têtes vert-sombres et leurs troncs saumonés. Ils sont de plus en plus nombreux.
A Saint-Flour-de Mercoire, Saint Roch veille sur le carrefour près du four banal et du lavoir. L'église se cache à l'écart. Après autorisation, les longes sont fixées à une catapulte égarée dans un pré bien vert, vestige de fêtes locales. Nous trouvons refuge sous le toit du lavoir pour pique-niquer. Il y a dans ce petit village une association de théâtre qui n'a pas manqué d'intéresser notre ami comédien ; un mot sur la porte et les traces de sabots ferrés appartenant à sa grande ânesse grise confirment sa présence devant nous. Les Belges aussi sont ici, débarqués là en voiture pour un morceau à pieds, et Pierre, le photographe, nous dépasse et attend pour quelques clichés alors que la marche reprend.
Fouzillic et Fouzillac ont marqué le voyage de Stevenson comme lieux d'égarement et inhospitaliers. Aujourd'hui aussi, le brouillard inonde la lande entre pins et genêts, la sente se perd entre les grandes herbes et les marécages, rapprochant les âmes troublées par l'ambiance de Stevenson dans sa perdition.
L'approche du Cheylard-l'Evêque est accélérée par la pluie. Le Refuge du Moure où, froids et mouillés nous nous réfugions bien vite, accueille cette nuit tandis que les ânes se retrouvent avec Capucine dans un enclos aux hauts murets de pierres. L'hôtesse est sympathique, la salle à manger au décor de bois est chaleureuse avec pots de confitures et fabrications maisons sur des étagères, bar dans un angle et évasions photographiques sur l'Antarctique sur les murs. Pierre, le photographe dîne avec nous et quelques courageux, pas trop éreintés, accélèrent la fin du repas pour aller assister au Voyage de Stevenson revu et corrigé en pièce de théâtre, nous avons en effet rejoint un véritable lieu d'étape de l'écrivain écossais, et donc, le comédien rencontré joue ici ce soir. La performance de l'acteur solitaire et des techniques audiovisuelles de ses compagnons est intéressante, d'autant plus appréciable dans le cadre de ce petit village perdu sous la pluie, la lecture orientée de l'ouvre originale nous conduira le lendemain à quelques échanges de points de vue, de perceptions. Un verre partagé offert par la municipalité clôt la soirée et lance nos pas dans la nuit humide jusque vers l'enclos des ânes, heureux de nous voir. Une vraie relation se crée chaque jour un peu plus. Et doucement nous nous glissons dans les chambres éteintes.
Quatrième étape: 24 km, +590m
Un petit déjeuner vraiment complet avec tout ce que chacun peut souhaiter en libre service lance la journée avec énergie, d'autant que la pluie partie laisse aujourd'hui découvrir le village du Cheylard l'Evêque. Le plus difficile, ce matin est de séparer nos ânes et Capucine. Ils veulent bien venir, le problème, c'est qu'elle aussi, son maître
n'étant pas encore là. Elle va profiter amplement du pain sec récupéré comme d'habitude auprès de nos hôtes. Cependant, le chargement en ordre, la chapelle dominant le village reste en arrière
au-dessus du faîte des arbres qui bordent le chemin. Cet édifice comme le nom du village est dû à la présence ancienne de la résidence de vacances ici des évêques de Mende.
L'itinéraire passe par des pinèdes, des vallons tout verts en bordure de ruisseaux, des chemins plus élevés dominant les dômes boisés, peu de maisons. Le groupe s'est scindé, l'avant-garde avance vite, tout en cherchant des champignons, tandis que derrière, nous sommes trois à « traîner » au rythme des ânes. De surcroît, nous croisons leurs « cousins », des chevaux, magnifiques dans leur liberté entre landes et forêts ; une clôture pourtant les enserre, si bien que finalement, je me demande en regardant les animaux qui s'observent si ce ne sont pas les ânes malgré leur charge qui sont les plus heureux, contraints, plus ou moins par nos mains, mais avançant dans un espace ouvert.
Un abri en bordure d'un lac a motivé les autres pour nous attendre, il ne fait pas si chaud que cela. Des échanges se produisent dans les conducteurs et c'est parti pour le château de Luc. Laurent véhiculé ce jour-là dans la fourgonnette des techniciens de la petite troupe de théâtre en raison d'une tendinite arrive à notre rencontre, heureux signe de l'objectif du midi. Au cour des ruines, un vent frais souffle malgré le soleil, chacun part dans son sens en exploration curieuse des traces du passé où intéressé par les murs protecteurs.
Finalement, au pied de la Vierge fichée sur le donjon, les troupes trouvent leur satisfaction, Keneth et Popov aussi, surtout que de plus en plus connaisseurs et confiants, nous les laissons en liberté, premier essai désormais reconduit chaque midi. Christophe, l'acteur solitaire rejoint les pas des derniers d'entre-nous pour la descente au village, occasion de prolonger le dialogue de la veille et de faire revivre au milieu Stevenson et différentes perspectives dans la lecture de son cheminement. Malheureusement, nous allons cette fois ne plus nous revoir car l'auteur ayant fait une étape à Luc, la troupe de théâtre s'y arrête tandis que nous partons pour La Bastide-Puylaurent le soir-même via l'abbaye de Notre-Dame des Neiges.
Dans Luc, une grange retient l'attention de Pierre, Denis et moi, séparément et va s'imprimer sur les pellicules de nos appareils photos respectifs sans concertation. Son apparence par l'agencement de ses pierres attire les yeux qui obtiennent confirmation de son vieil âge par la date sur la porte, antérieur à 1700. Et nous voici tous trois encore en arrière. sans ânes en excuse !
La première partie de l'après-midi est à l'opposé du matin, entre route et train, le trajet semble plus proche de la civilisation et est en tout cas plus fréquenté. Tout de même, de grands bâtiments de colonie désaffectés, du moins nous l'espérons car leur aspect « caserne » fait un peu peur, témoignent d'un retrait de la vie humaine même ici au bord des voies de communication. De toute façon, pour nous, s'en éloigner est le mieux et nous montons sous le soleil sur la montagne qui domine l'abbaye Notre Dame des Neiges. Les balises perdues, c'est par notre propre chemin que nous nous dirigeons, plus proches de Stevenson qui allait ainsi sans route strictement dictée.
Le point de vue est large vers La Bastide-Puylaurent et le Mont Lozère, mais les toits du monastère masquent leur tranquillité derrière les hauts résineux jusqu'au dernier moment car nous arrivons par derrière. Nos compagnons herbivores vont se régaler après autorisation en mangeant les feuilles de frêne que deux moines sont justement en train de tailler ; je savoure le calme du lieu dans l'ombre près d'eux tandis que certains visitent selon les goûts, la librairie, l'église ou le bar ! C'est que ces moines mûrissent ici leur propre cuvée, venue de leurs vignes du Gard (Bellegarde).
Denis pas très en forme part seul en avant et les autres se regroupent pour le dernier bout de la journée ; il semble long, long. Un randonneur vient face à nous, c'est Pierre, le photographe ; il compte dormir comme Stevenson chez les moines mais ce n'est pas possible, l'accueil étant à présent destiné aux seuls retraitants.
A La Bastide-Puylaurent, malgré un repérage antérieur, j'hésite pour trouver la Maison d'hôtes L'Etoile, et puis, enfin, nous voilà chez Philippe Papadimitriou, cet « ami » mainte fois évoqué par Christian, un membre éminent et apprécié de notre association. Est-il tel que je l'avais imaginé ? Oui et non, plutôt non, certes pourtant pas décevant; et moi, suis-je comme au téléphone ?!
Notre hôte a un parcours atypique et toute sa maison le dit. Du feu de cheminée, en passant par le piano dans un coin, des cèpes cueillis ce jour cuisinés avec ail et fines herbes, au repas partagé puis aux bières belges, tous les ingrédients sont là pour une discussion animée entre Denis et lui ; « et si nous refaisions le monde rural ? ». Pierre lit au coin du feu, certains sont allés se coucher et nous, dans quel monde sommes-nous entre passé et présent, terroir et universalité tandis que la soirée se prolonge dans ce joli coin perdu de Lozère relié au monde par un hôte voyageur féru d'internet. par Catherine Revel
Ancien hôtel de villégiature avec un jardin au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR®7, GR®70 Chemin Stevenson, GR®72, GR®700 Voie Régordane (St Gilles), GR®470 Sources et Gorges de l'Allier, GRP® Cévenol, Montagne Ardéchoise, Margeride et de nombreuses randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente et de randonnée.
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