A l'abbaye Notre Dame des Neiges avec Stevenson![]() Bruit de feuillage. Un piéton sort du bois et cache dans son dos un panier de champignons. Il est paysan et bavard. " Pourquoi vous faites ça ? " Il désigne nos chaussures et mime le port du sac à dos. - On fait " ça " parce que si on ne l'avait pas fait, on ne se serait pas rencontrés... - C'est pas bête, ça... ça fait beaucoup de " ça " chez le brave homme. Satisfait de la réponse qu'il juge simple mais de bon sens, il déballe tout ce qu'il sait, ou croit savoir, sur la trappe. À propos du chiffre d'affaires, on murmure au village - pas lui, attention ! - que c'est l'un des plus importants de l'Ardèche. Le second après les cimenteries Untel. Il ne faut surtout pas le répéter, c'est ce qu'on raconte, pas lui, hein... " On raconte " aussi que le frère Régis, le supérieur est à tu et à toi avec les plus importants responsables politiques de l'Ardèche. Même qu'il surnomrne une huile régionale Jeannot !
Notre-Dame-des-Neiges...
Frère Jean porte ses quatre-vingts ans comme d'autres portent chance. Il doit mesurer un petit mètre cinquante et grimpe sur une vieille caisse de bois pour parvenir à hisser sa frimousse à hauteur de comptoir. Derrière lui, jambons d'Auvergne, saucissons monumentaux et fromages attendent en patience qu'on les décroche. Frère Jean est habitué à travailler et à soutenir la conversation. Ainsi qu'un guide, il raconte la vie des moines, l'histoire de la trappe et son fonctionnement... À la fin du XI siècle, Robert de Molesme et saint Bernard ont quitté les bénédictins de l'ordre de Cluny. Ils souhaitaient retrouver une foi plus rigoureuse et appliquer l'enseignement de saint Benoît. Les bénédictins partagent leur temps entre la prière et l'étude, nous autres cisterciens y ajoutons le travail physique... D'ailleurs, frère François-Régis, le supérieur, est absent; il surveille la vendange à Bellegarde, entre Nîmes et Tarascon. C'est là qu'on achète notre raisin. On a confiance, bien sûr, mais il vaut mieux être sur place. On achète un beau merlot. Allez donc aux cuveries le goûter...
À mieux observer, ce sont deux trappes qui s'accrochent à la montagne. La première pour les moines, les religieux invités et les retraitants laïques, la seconde pour le touriste, grand consommateur de saintes cochonnailles, de chapelets et de ronds de serviettes à l'effigie de Charles de Foucauld - qui séjourna ici en 1890, avant de mourir dans le désert du Sahara en 1916. À la trappe, le visiteur peut prier et consommer en paix. Les frères de la montagne acceptent toutes les cartes magnétiques. Comme celle de tous les moines cisterciens, la journée du moine ardéchois débute par le réveil, à quatre heures, suivi de l'office où les psaumes sont chantés. De cinq à sept heures, la méditation et la lecture personnelle occupent le moine. À sept heures viennent les laudes à la gloire de la Création, l'Eucharistie - toujours d'une grande sobriété. Pendant le reste de la matinée, les moines exercent leurs activités professionnelles, selon les règles édictées par saint Benoît... Cuisine, couture, travaux de la ferme, apiculture, travail du vin. Le repas de midi est pris en silence, et l'après-midi est de nouveau consacrée aux activités manuelles, puis vers dix-huit heures trente, on célèbre les vêpres dans le silence et le recueillement. Après un frugal souper, les moines assistent aux complies, dernière cérémonie de la journée adressée au Père céleste et à Marie. Tous se retirent ensuite dans les cellules pour le repos de la nuit. Saint Benoît invite les moines à la contemplation pour mieux vaincre l'agitation du monde extérieur.
Après avoir attaché Noée, longue promenade au sein de la trappe. Les longs bâtiments austères, le silence et le ciel bleu apaisent le visiteur et le forcent à l'inclination. Au sommet d'une montagne, dans ce qui pourrait presque ressembler à un domaine fortifié, aucune architecture tapageuse, seul un clocher dépasse. Les moines croisés sourient et saluent en silence. À la boutique, on multiplie le petit commerce en proposant aux visiteurs des épinglettes, dérisoires morceaux de métal peints que le chaland coincera sur le rebord de sa veste, des assiettes décorées, des bâtons vernis pour qui se sent des ailes de pèlerin et force ouvrages consacrés à l'ordre. Aucune trace de l'Écossais, je le précise car un couple d'Anglais tient absolument à ramener un souvenir - " vous comprenez, nous sommes venus exprès de Londres, nous refaisons le voyage de Stivinson en coupé Jaguar... " Dans le silence monacal, on croit entendre la douce musique du tiroir-caisse. ![]() Dans le silence des voûtes de tuf, les touristes tendent les cubiteneurs et les employés s'activent au pied des cuves en Inox comme dans une station-service sur l'autoroute du soleil. Les longs couloirs hébergent les foudres géants et les vins bénis. Amen ! Le clou de la production, c'est la Fleur des neiges, un mousseux dont le poète Kenneth White se régalait quelquefois, lorsqu'il vivait et méditait à Gourgounel, sa retraite à quelques lieues d'ici. À la scierie, frère " bougon " supervise les coupes. Philippe Papadimitriou, le Grec du Gîte de L'Etoile s'apprête à charger les quelques bouts de sapins qu'il a négociés pour l'imposante cheminée du gîte. Le temps d'un coup de main, nous devenons bûcherons selon la règle monacale. Prière et travail; la prière viendra plus tard.
Le 26 septembre 1878, après quatre ou cinq jours de marche, d'égarements et de négociations avec Modestine, Robert Louis Stevenson fait halte à la trappe. Il s'en approche, animé
d'une angoisse sincère. Fils de presbytérien écossais, il ignore et redoute l'accueil qui lui sera réservé dans l'enclos catholique. Frère Apollinaire, brouette à la main, se flatte de rencontrer son
premier Écossais. Les autres moines accourent... Le supérieur, père Michel, offre au nouvel arrivant l'apéritif et le repas du soir. À table, l'écrivain rencontre un curé de campagne et un militaire en retraite qui font preuve d'intolérance vis-à-vis des autres cultes. Tout en menaçant le voyageur écossais des enfers et en condamnant avec vigueur le protestantisme - " c'est une secte, ni plus ni moins " -, ils cherchent à le convertir. Stevenson se fâche un peu, mais conserve une politesse tout écossaise. Il défend la religion de sa mère et de son enfance, puis abandonne les deux dévots à leur foi sectaire. Sur l'invitation d'un frère irlandais, il visite la bibliothèque où Chateaubriand, Hugo et le coquin Molière côtoient les textes fondateurs et sacrés. Puis, le soir, il se retrouve en cellule, seul. Stevenson questionne sa propre foi qu'il tente de déguiser au mieux. Il redoute le silence, la solitude, et compare les moines à des morts vivants. Aussi note-t-il dans Le Vopage une chanson française et guillerette pour mieux maquiller ses états d'âme... Les doutes viendront plus tard. Que t'as de belles filles,
Toi qui nous as donné l'amour pour la femme et l'amitié pour l'homme, maintiens vivant en nous le sentiment de la communion et de la tendresse durable; fais que nous oubliions les offenses et nous souvenions des services rendus; protège ceux que nous aimons en toutes choses et accompagne-les avec bonté, afin qu'ils mènent une vie simple et sans souffrance et qu'ils meurent enfin en repos et l'esprit apaisé.
Stevenson a des comptes à régler avec l'Écosse, qu'il va quitter à jamais, sans tout à fait la quitter : Écosse de l'enfance, de la formation spirituelle et des démons; Écosse des souffrances et de l'éducation austère; Écosse affective des premières marches sur la lande, des faubourgs et des villes noires. Il a d'autres comptes à régler avec la famille car, en choisissant d'aimer Fanny, il s'est opposé à son père. Ce père presbytérien, intraitable, qui exerce sur l'enfant un joug pécuniaire et moral. Et derrière le père, l'Angleterre et le milieu littéraire qui déteste les vagues, du moins ceux qui en font... Stevenson va se révolter et la révolte fera naître l'écrivain... Lorsqu'il crée, durant l'adolescence, avec le cousin Bob et d'autres agitateurs de leurs amis, une petite société à caractère secret et provocateur, l'un des premiers articles est rejet de tout ce que les parents ont pu enseigner. Mot d'ordre qui se passe de commentaire.
Allongé dans mon sac de couchage, au coin du feu dans une grange sombre, je relis et compare les textes. Dans le journal de route, Stevenson s'épanche et s'abandonne aux émois francs. Dans le Voyage, il modère sa foi hésitante et retrouve un ton carabin. Il rature, biffe ses expériences personnelles. Quiconque souhaite voyager avec Stevenson en Cévennes doit se munir du Journal de route pour découvrir l'autre versant. Le mystère Hyde. La signification secrète, comme il l'a écrit dans sa préface. Là seulement l'homme se livre. L'édition définitive, réécrite, fait la part belle à l'écrivain qui fait le beau, et ce Journal de route est un sismographe de l'esprit. De retour à l'abri, devant un bureau, Stevenson est intervenu sur le sismographe, a tempéré ses réflexions à chaud, s'est censuré. par Eric Poindron. Belles étoiles. Avec Stevenson dans les Cévennes. Editeur: Flammarion. Collection: Gulliver.
Ancien hôtel de villégiature avec un magnifique parc au bord de l'Allier, L'Etoile Maison d'hôtes se situe à La Bastide-Puylaurent entre la Lozère, l'Ardèche et les Cévennes dans les montagnes du Sud de la France. Au croisement des GR7, GR70 Chemin Stevenson, GR72, GR700 Voie Régordane (St Gilles), Cévenol, GR470 Sentier des Gorges de l'Allier, Montagne Ardéchoise, Margeride, Gévaudan et des randonnées en étoile à la journée. Idéal pour un séjour de détente. Copyright © gr70-stevenson.com |